Turner, Storm at sea (1824)





Comme le marinier, que le cruel orage

Comme le marinier, que le cruel orage
A longtemps agité dessus la haute mer,
Ayant finalement à force de ramer
Garanti son vaisseau du danger du naufrage,

Regarde sur le port, sans plus craindre la rage
Des vagues ni des vents, les ondes écumer ;
Et quelqu'autre bien loin, au danger d'abîmer,
En vain tendre les mains vers le front du rivage :

Ainsi, mon cher Morel, sur le port arrêté,
Tu regardes la mer, et vois en sûreté
De mille tourbillons son onde renversée :

Tu la vois jusqu'au ciel s'élever bien souvent,
Et vois ton Du Bellay à la merci du vent
Assis au gouvernail dans une nef percée.


Joachim du Bellay. Les Regrets, sonnet 34
















Ce poème est une réécriture d'un texte célèbre du poète latin Lucrèce, la Nature des choses.

Suaue, mari magno turbantibus aequora uentis
e terra magnum alterius spectare laborem;
non quia uexari quemquam est iucunda uoluptas,
sed quibus ipse malis careas quia cernere suaue est.


Il est doux, quand la vaste mer est soulevée par les vents,
d'assister du rivage à la détresse d'autrui;
non qu'on trouve si grand plaisir à regarder souffrir;
mais on se plaît à voir quels maux vous épargnent.







Joachim Du Bellay est né en 1522 à Liré, au château de la Turmélière dans la région d’Anjou, département du Maine-et-Loire.